Le 8 mars de chaque année, le monde entier célèbre la Journée Internationale des droits des femmes dont l’objectif est de dénoncer les discriminations, les inégalités et les violences vécues par les femmes. Il s’agit d’un moment propice à la réflexion et à la recherche de solutions visant à améliorer les conditions de vie des femmes sous tous les aspects, tout en dressant le bilan sur la situation des femmes dans la société et de revendiquer plus d’égalité en droits.
Ainsi, dans la droite ligne de cette Journée, le Réseau des Femmes Elues Communales(REFECOM) de l’Association des Communes du Burundi (ACO-BURUNDI) a organisé un atelier de réflexion et d’échange sur les droits des femmes.
Les bénéficiaires de l’atelier étaient les femmes élues communales représentant le REFECOM dans les différentes Provinces du pays, quelques représentantes communales du REFECOM et les membres du Comité National du REFECOM
L’atelier s’est déroulé du 12 au 15 mars 2024 à l’East African Hotel situé au chef-lieu de la Commune Nyanza-Lac en Province de Makamba. Les activités ont été officiellement ouvertes par le Conseiller Juridique du Gouverneur de la Province de Makamba.
A cet égard, trois sujets ont été abordés à savoir :
- L’état de mise en œuvre de la Résolution 1325 des Nations-Unies
- La jurisprudence en matière d’accès des femmes aux droits fonciers
- Sensibilisation des femmes en vue de les préparer aux prochaines élections de 2025
Etat de mise en œuvre de la Résolution 1325 des Nations-Unies au Burundi
Le thème relatif à la mise en œuvre de la Résolution 1325 a été développé par Madame NIYONSABA Donavine, Directrice en charge des questions de genre au Ministère de la Solidarité Nationale, des Affaires Sociales et des droits de l’Homme.
Selon Madame la Directrice, la Résolution 1325 qui a été adoptée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies le 31Octobre 2000, est considérée à l’échelle mondiale comme un texte de référence régissant la participation des femmes dans la prévention, le règlement des conflits et la consolidation de la paix.
Elle s’articule sur quatre axes à savoir:
- La préventionde la reprise des conflits et de toute forme de violence à l’encontre des femmes et des filles.
- La participationdes femmes aux processus de prise de décision dans la prévention, la gestion et la résolution des conflits à travers les mécanismes nationaux, régionaux et internationaux
- La protection de l’intégrité physique et mentale des femmes et des filles,
- Le relèvement économique à travers la prise en compte des besoins particuliers des femmes et des filles lors du rapatriement, de la réinstallation, de la réinsertion et de la reconstruction après les conflits
Comme la responsabilité de sa mise en œuvre de cette résolution incombe aux gouvernements respectifs, le Burundi a élaboré et mis en œuvre différents plans d’actions.
L’évaluation de la mise en œuvre du plan d’action de la 2ème génération a mis en exergue un certain nombre de défis domaine par domaine, lesquels défis ont servi de base pour l’élaboration du plan d’action de la 3ème génération.
En vue de faire face aux différents défis identifiés, le Gouvernement du Burundi envisage des solutions stratégiques suivantes :
- Vulgariser et mettre en œuvre la stratégie nationale de promotion de la participation effective des femmes et des filles dans les instances de prise de décision
- Plaider pour la fixation du quota minimum pour la représentation des femmes au niveau collinaire
- Informer et appuyer les femmes à se connecter à la Banque d’Investissement et de Développement pour les Femmes (BIDF)
- Vulgariser et mettre en œuvre le Plan Stratégique National de lutte contre les VBG
- Mener un plaidoyer pour une planification sensible au genre dans les secteurs
- L’implication des hommes comme acteurs de changements ;
- La réduction de la pénibilité des travaux ménagers des femmes et filles ;
- L’implication des femmes et filles dans l’élaboration et mise en œuvre des programmes et projets de développement communautaire ;
- L’accroissement de l’accès aux services de proximité et de qualité de prise en charge ;
- La documentation et valorisation des compétences féminines
Etc
Niveau de la participation de la femme dans les instances de prise de décision
Concernant la participation de la femme dans les instances de prise de décision, ce thème a été développé par Madame Estella NDAHABONYIMANA, Coordinatrice du Centre d’Excellence pour la lutte /VSBG.
Dans sa communication, elle a mis en évidence les chiffres qui montrent le niveau de représentativité des femmes dans les instances de prise de décision dans les différents secteurs de la vie au niveau national. il s’agit des résultats d’une étude qui a été réalisée par l’Association des Femmes Rapatriées du Burundi(AFRABU). Ainsi, pour la période 2023, la synthèse nationale se présente comme suit :
- Postes électifs au niveau national et local 23,3%
- Postes non électifs au niveau central 28,00
- Administrations personnalisées du secteur parapublic : 24,8%
- Postes non électifs au niveau provincial, communal, local et communautaire : 35,78%
- Postes non électifs dans le secteur bancaire : 34,6%
- Postes non électifs dans les assurances : 16,6%
- Postes de décision ai sein des universités publiques (UB et ENS) : 18,51%
- Postes non électifs dans les universités privées : 22,2%
Avec un total général moyen de 31,9%
Selon cette experte, les facteurs de cette faible représentativité sont multiformes, mais sont essentiellement liés aux normes et croyances traditionnelles, à la dépendance économique de la femme par rapport à l’homme ; à la surcharge par les obligations familiales incombant à la femme burundaise, au déficit en matière d’instruction, d’éducation et d’information et au cadre légal national inéquitable.
Eu égard à cette situation, l’experte a proposé quelques pistes de solution telles que :
- L’information et la sensibilisation des décideurs et les législateurs sur les enjeux de la participation des femmes ;
- Le changement des mentalités en faveur du leadership féminin ;
- Le renforcement des capacités des femmes et des filles ;
- La mise en place d’un cadre légal équitable pour les hommes et les femmes en matière de participation.
Jurisprudence sur l’accès des femmes aux droits fonciers
Comment les femmes peuvent-elles jouir pleinement du patrimoine foncier et d’autres biens après le décès de leurs parents ou leurs conjoints? Telle était la question majeure à laquelle voulait répondre le développement de cette thématique.
Le thème en rapport avec la jurisprudence sur les droits fonciers des femmes a été développé par Madame KAZE Graciella, Magistrat au Tribunal de Grande Instance de Makamba. L’objectif de cette communication était de mettre en exergue les bonnes pratiques judiciaires ayant rétabli les femmes dans leurs droits par des juridictions lors des conflits de succession.
Dans sa communication, l’experte a insisté sur le fait que le règlement des conflits de succession auquel elle fait allusion repose sur les articles 122 et 126 du Code des Personnes et de la Famille.
Article 122 stipule que
« Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance. Le mari est le chef de la communauté conjugale. Il exerce cette fonction à laquelle la femme participe moralement et matériellement dans l’intérêt du ménage et des enfants. La femme remplace le mari dans cette fonction lorsqu’il est absent ou interdit ».
L’article 126 quant à lui stipule qu’aucun époux ne peut sans le consentement de l’autre :
- Aliéner ou grever de droits réels les immeubles ou les exploitations dépendant de la communauté conjugale, ni disposer desdits droits ou biens à titre gratuit même pour l’établissement des enfants communs ;
- Acquérir à titre onéreux la propriété ou tout autre droit réel portant sur les immeubles ou les exploitations dépendant de la communauté conjugale. Sont réputés dépendants de la communauté conjugale sauf preuve contraire résultant d’une disposition légale, conventionnelle ou coutumière :
- le fonds de terre acquis par dévolution successorale ;
- la maison servant de logement ou de moyen de logement à la famille
- l’exploitation agricole faisant l’objet ou étant le fruit du travail commun des époux.
- Les actes de disposition cités à l’alinéa premier ne pourront être conclus en ce qui concerne le fonds de terre qu’après partage entre héritiers.
A la lumière des dispositions ci-haut citées, l’experte a décrits quelques cas des jugements rendus par les juridictions en faveur des femmes pour exercer les pleins droits sur les biens laissés par leurs parents ou leurs conjoints.
- Litige de succession d’une personne X qui est née d’une femme célibataire malheureusement décédée, et ayant passé toute sa vie chez ses parents. X a également grandi sous le toit de ses grands-parents. La question était de savoir si X pouvait bénéficier de l’héritage de sa mère : La juridiction a confirmé le droit de X à bénéficier de l’héritage de sa mère
- Conflits de succession sur les propriétés foncières acquises par la personne G (ibivi vy’ibigurano) entre filles et garçons : En première instance, le tribunal avait rendu le jugement comme quoi la propriété foncière devait être partagée entre 3 parties dont 2 pour les garçons A et B et une pour les filles C et D : La juridiction d’appel a révisé ce procès et a ordonné le partage de ce patrimoine en 4 parties égales entre tous les 4 enfants sans distinction de sexe.
- Une veuve a vendu une partie d’une propriété familiale aux fins de se faire soigner. Son fils a porté plainte au tribunal de résidence et ce dernier a ordonné l’annulation de la vente et la remise du montant de vente à l’acheteur : Après avoir interjeté appel auprès du tribunal de grande instance, celui-ci a confirmé le bien fondé et la pertinence de la transaction eu égard au contenu de l’article 122 du Code des personnes et de la famille et la veuve a été remise dans ses droits. Raison principale mise en avant : après le décès du mari, la veuve remplace valablement son défunt mari et prend donc toute décision allant dans le sens de subvenir aux besoins de la famille.
- Une veuve a vendu une parcelle bâtie pour se faire soigner. Avec une partie de l’argent restant, elle a pu acquérir une autre parcelle bâtie et a partagé le reste aux enfants de l’autre femme de feu son mari. Un de ces enfants a porté plainte et le dossier a pris son chemin jusqu’à la cour suprême : Après analyse du dossier la chambre de cassation a donné raison à la veuve car : (i) Les motifs invoqués par la veuve étaient pertinents et avait les pleins droits de vendre cette maison. (ii) Elle a fait bon usage de l’argent de la vente, mais l’a par contre rentabilisé en achetant une autre parcelle. (iii) Elle a distribué le reste de l’argent à ses enfants alors qu’elle n’avait aucune obligation de le faire.
- Après le décès de X une partie des enfants ont demandé au tribunal de résidence pour intervenir dans le partage des propriétés foncières situées en milieu rural et urbain. Le tribunal de résidence a statué que tous les biens laissés par X soient répertoriés et partagés entre tous ses enfants et la veuve en parties égales : La veuve a interjeté appel et le tribunal de grande instance a révisé le jugement et a décidé qu’aucun bien ne soit vendu du vivant de la veuve : Le dossier a été porté aux juridictions supérieures jusqu’à la cour suprême. Celle-ci a définitivement tranché en faveur de la non vente des biens concernés jusqu’à la mort de la veuve.
- Une veuve X. a vendu sa vache et a confié l’argent à son beau-père pour lui acheter un terrain. Le beau-père a effectivement acheté le terrain mais s’en est approprié. La veuve a porté plainte au tribunal de résidence et celui-ci a tranché en faveur de la veuve et le beau-père a interjeté appel au tribunal de grande instance. Celui-ci a invalidé le jugement du tribunal de résidence. La veuve a attaqué ce jugement auprès de la cour d’appel: La cour d’appel a révisé le dossier et a rendu son verdict en faveur de la veuve, se basant sur le fait que la famille du défunt mari n’a aucun droit de profiter de la situation de fragilité de la veuve pour l’empêcher de d’organiser son foyer pour l’intérêt de sa famille.
- Après le décès d’un homme X, les membres de la famille de ce dernier avaient vendu la parcelle de la famille de feu X à l’insu de sa veuve. La veuve a porté plainte auprès du tribunal de résidence et avait perdu le procès en faveur de la famille de feu son mari. La femme a fait appel de ce procès et a porté affaire à la cour d’appel : La chambre de cassation de la cour suprême a décidé de ne pas casser ce procès et a définitivement validé la décision de la cour d’appel en mettant en avant l’application stricte de l’article 126 du code des personnes et de la famille et la veuve a été rétablie dans ses droits.